Deux ans après la publication de The Hate U Give, après plusieurs mois d’attente sur la liste de ma bibliothèque et aux termes d’une anticipation insoutenable, j’ai enfin mis les mains sur le nouveau roman d’Angie Thomas dont il sera question aujourd’hui. Je tenais à parler d’abord de l’impact qu’a eu son premier ouvrage sur moi et sur la critique littéraire en général, parce que forcément, cela allait influencer ma lecture d’une manière ou d’une autre.
EDIT : le livre est désormais disponible en français sous le titre « Parée pour percer » chez Nathan. Cependant, j’aurais tendance à conseiller de lire ces livres en version originale si votre niveau d’anglais s’y prête. Comme j’en parle dans l’article, la langue a une place importante dans les deux romans et je ne pense pas que la meilleure traduction du monde puisse préserver cela.
The Hate U Give, publié en 2017 est un livre de littérature YA (Young Adult comme on le qualifierait dans la critique anglophone) qui n’est pas passé inaperçu. Le roman suivait l’histoire de Starr, jeune adolescente afro-américaine dont l’histoire est directement inspirée du mouvement Black Lives Matter qui a secoué les États-Unis en dénonçant les constantes violences policières envers la population noire. Après avoir remporté le prix du meilleur premier roman Goodreads l’année de sa sortie, il a très vite été adapté au cinéma, et, avec son rapport brûlant avec l’actualité, n’a cessé de faire parler de lui. Pour moi, la hype autour de ce livre est amplement méritée. Si j’ai quelques reproches à faire à son adaptation filmique, le roman lui-même était sans aucun doute ma meilleure lecture de 2017. C’était une lecture coup de coeur et coup de poing. Lorsque j’ai refermé The Hate U Give, j’étais tellement chamboulée que je me suis précipitée sur Goodreads pour chercher les autres livres d’Angie Thomas. Ma surprise fut totale quand j’ai réalisé qu’il s’agissait de son premier roman. La finesse et l’originalité de son écriture, la puissance avec laquelle elle abordait à la fois les sujets familiaux et sociaux étaient exceptionnels, et démontraient déjà chez cette autrice une grande habilité à faire d’un sujet d’actualité une histoire intimiste, saisissante et vraie. Je ne pouvais pas croire qu’il s’agissait là d’un premier roman, et pourtant…
Le problème d’une jeune autrice qui démarre si fort, c’est qu’il est bien sûr plus difficile de répondre aux attentes d’un public déjà large. Le deuxième roman, c’est celui qu’on attend au tournant, celui qui va consacrer l’autrice ou au contraire va l’inscrire dans le panthéon des one-hit wonders. J’avais plusieurs appréhensions en débutant ma lecture ; celle d’être déçue bien sûr, mais aussi cette peur de lire une pâle copie d’un roman qui figure aujourd’hui parmi mes préférés. Et le risque était présent, dès le synopsis.
On The Come Up, c’est l’histoire de Bri, une jeune fille de 16 ans qui aspire à devenir rappeuse, et qui est confrontée en même temps au licenciement de sa mère et au buzz provoqué par une de ses chansons qui la propulse sur le devant de la scène de la pire manière possible.
Angie Thomas a précisé en interview que si On The Come Up n’est ni une suite, ni un spin-off de The Hate U Give, les héroïnes des deux romans partagent en revanche le même quartier, qui est fictionnel mais inspiré des quartiers pauvres à population majoritairement afro-américaine aux États-Unis. On peut noter aussi qu’elles ont le même âge et traversent des problèmes liés à leur couleur de peau et à leur identité sans cesse mise à mal par le racisme. Au niveau des thèmes abordés, il est facile de souligner des similitudes. La violence policière est présente dans le livre sous la forme des contrôles de sécurité à l’entrée du lycée de Bri, la stigmatisation des personnes noires y est encore une fois un thème central et influence fortement l’intrigue et la caractérisation de l’héroïne. De plus, la famille a encore une fois une place très importante dans le récit. Pour autant, y a t-il une impression de redite ? Absolument pas. Dans tous les cas ces sujets sont si rarement abordés dans la littérature jeunesse qu’il serait difficile de ressentir une répétition. Si 7 ou 8 romances YA sur des ados malades peuvent coexister dans le paysage éditorial, on ne devrait pas s’étonner de voir plusieurs livres jeunesse parler de violences policières… D’autant qu’encore une fois, Angie Thomas le fait très brillamment.
Si On The Come Up peut être comparé à son grand frère, il se détache quand même par son sujet principal, que je n’ai personnellement jamais vu abordé dans aucun autre livre jeunesse : l’importance du hip-hop en tant que moyen d’expression. Il s’agissait d’une intention claire de la part d’Angie Thomas d’impliquer ce genre musical dans son livre, pas seulement parce qu’il s’agit d’un élément culturel primordial pour la communauté noire-américaine, mais aussi parce qu’elle a elle-même grandi en écoutant du hip-hop, et que le rap a été un premier moyen d’expression, avant même l’écriture. Elle dit en interview :
Traduction : “En grandissant, je ne me reconnaissais pas dans les livres. Je me reconnaissais dans le hip-hop. Et pour de nombreux jeunes comme moi, c’était le seul moyen d’expression que nous avions.”
La voix de Bri, c’est tout l’enjeu de ce récit, dans un univers où s’exprimer est une question de survie. Comme dans son premier livre, Angie Thomas n’est pas tendre avec ses personnages. Même si les dialogues sont parfois hilarants, et qu’un fond de romance allège le ton, On The Come Up traite de sujets très durs, encore plus lorsqu’ils sont observés à travers les yeux d’une enfant. Bri est confrontée à des violences injustifiées de la part des agents de sécurité de son établissement, à l’omniprésence du trafic de drogue dans son quartier, aux conflits entre des gangs etc. rien ne lui est épargné. Bien sûr, la voir tenter de trouver son équilibre dans cette tension perpétuelle est déchirant, car aucun jeune ne devrait avoir à traverser de telles épreuves. Et pourtant c’est une réalité pour beaucoup d’adolescents aux États-Unis, une réalité qui est souvent effacée au profit d’histoires plus légères. Bri, du fait de sa couleur de peau et de sa classe sociale ne bénéficie pas du privilège de l’innocence. Quand la question de la sécurité des enfants est soulevée, elle l’est au détriment des enfants non-blancs, parce que les autres sont toujours vus comme les coupables, et jamais comme les victimes. Lorsque les enfants noirs et latinx sont directement visés par les contrôles de sécurité du lycée de Bri, leur sécurité à eux est sacrifiée, sous prétexte qu’ils représentent des dangers.
“We must do more to protect our children.”
Protect our children. I’m definitely not included in that.
(Extrait d’On The Come Up)
Traduction :““Nous devons faire plus pour protéger nos enfants.”
Protéger nos enfants. Je ne suis décidément pas inclue là-dedans.”
Cette réalité est terrible, mais il est essentiel de la raconter pour que les adolescents qui subissent la peur, la violence et les discriminations au quotidien puissent eux-aussi se sentir représentés et entendus.
Malgré des sujets profonds et difficiles, On The Come Up n’en reste pas moins accessible et se dévore en un rien de temps. C’est cette manière de construire un univers par l’écriture la plus contemporaine qui soit qui m’a tout de suite plu chez cette autrice. Elle utilise notamment beaucoup de slang, d’expressions populaires et directement issues de la culture Twitter qui donnent une couleur incomparable à l’histoire. J’apprécie particulièrement que ce langage n’ait pas l’air imité, et au contraire, s’assume comme une langue à part et légitime, comme si Angie Thomas tirait une certaine fierté dans le fait de “l’officialiser” en la faisant éditer.
Si j’ai une chose à reprocher, c’est que certaines références sont parfois trop expliquées à mon goût au point que cela sorte du récit, mais il y a sûrement là une volonté de ne pas s’aliéner un lectorat qui n’y serait pas familier.
Globalement ce ton rend l’histoire non seulement plus crédible – les dialogues des ados sont très naturels – mais aussi très drôle. Le livre est ponctué d’un humour d’échanges, de savoureuses piques que s’envoient les personnages, et qui les rend incroyablement attachants et attendrissants, tout en accentuant la force de leurs relations. Les liens familiaux ou amicaux qu’entretiennent les personnages sont très palpables et très humains. Angie Thomas ne tarit jamais d’anecdotes ou de manies sur l’un ou l’autre, des détails si imprévus et réalistes que je n’ai aucun mal à imaginer leur existence dans la vraie vie, si bien qu’au moment de refermer le livre, je me demande encore ce qu’ils vont devenir.
Bri elle-même est une héroïne pleine de défauts, ce qui peut parfois être frustrant à lire mais terriblement satisfaisant lorsqu’on la voit évoluer et prendre des décisions face aux conséquences de ses nombreuses erreurs. Son intrigue est bien menée, rythmée et très prenante. Tiraillée entre l’image qu’elle renvoie et l’identité qu’elle tente de se construire, Bri est à l’image de sa passion, le hip-hop, secouée par les injustices, malmenée par les préjugés, mais déterminée à faire entendre sa vérité. Angie Thomas précise en interview :
Traduction: “Trop souvent, la façon de parler des jeunes est critiquée et surveillée, en particulier lorsqu’elle est associée au hip-hop. Le hip-hop a reçu de nombreuses critiques parce qu’il met les gens mal à l’aise. On impose trop souvent aux jeunes de parler d’une certaine manière, au lieu d’écouter ce qu’ils ont à dire.”
En nous plongeant dans la passion de sa jeune héroïne, Bri, Angie Thomas dénonce l’incompréhension autour du rap et du hip-hop, souvent perçus et montrés comme des sous-genres musicaux violents, illettrés et immoraux. Pour Bri, c’est une manière de s’exprimer et de répondre à la violence qu’elle reçoit du monde extérieur. Mais en retournant la violence contre ses oppresseurs, c’est elle qui est soudain accusée d’être agressive et d’inciter à la violence… On comprend alors toute la frustration ressentie par une population noire sans cesse stigmatisée, pour qui la liberté d’expression n’est pas systématique. Et si cette histoire s’ancre dans un contexte américain, je n’ai pu m’empêcher de voir des similarités avec des injustices bien de chez nous, comme la récente affaire Nick Conrad, quand une métaphore sur le racisme en inversant les groupes est immédiatement prise au premier degré et vu comme un acte de haine, malgré les démentis de l’artiste. Il s’agit encore là d’un énième cas où l’on interdit à un artiste noir d’incarner un personnage et de présenter une fiction, et où l’on attribue des propos à sa personne pour mieux censurer précisément ce qu’il tente de dénoncer. Cet échange entre Bri et sa mère à propos de sa chanson en est la parfaite illustration :
If you would just listen to the song – it’s not what they made it out to be, I swear. It’s about playing into their assumptions about me.
– You don’t get that luxury, Brianna ! We don’t ! They never think we’re just playing!
(Extrait d’On The Come Up)
“Si tu écoutais juste la chanson – Ce n’est pas ce qu’ils en ont dit, je te jure. Je jouais autour de leurs perceptions à mon sujet.
– Tu n’as pas ce luxe, Brianna ! Nous n’avons pas ce luxe ! Ils ne pensent jamais que nous jouons !”
Les cas de ce genre sont nombreux et servent de prétextes pour arrêter des artistes, les mener dans de longs procès, et même souvent, les condamner. Car oui, prêter de l’agressivité à un genre musical issu de la culture noire n’est pas un hasard et n’est absolument pas nouveau. Quand le hip-hop devient un art de résistance, il est tout naturel qu’il soit censuré, blâmé, dénigré.
A mon sens, si Angie Thomas fait du hip-hop le pilier de son histoire afin de parler aux jeunes et aux amateurs du genre, il permet également à tous ceux qui n’y sont pas familiers, comme moi, de mieux comprendre en quoi un simple genre musical peut devenir intrinsèquement politique, et donc pourquoi il est sujet à tant de controverses et de revendications.
Voilà les leçons et réflexions que j’ai tiré de cette fabuleuse lecture. J’ai ri, pleuré, tremblé avec Bri. Et oui, je proclame officiellement Angie Thomas comme l’une des meilleures autrices YA de sa génération. Lisez On The Come Up, lisez The Hate U Give et je vous garanti que vous n’en sortirez pas indemne. Entrer dans l’univers de l’autrice fut encore une fois très facile. En sortir, beaucoup moins.
Cette critique littéraire est incroyablement bien structurée, elle dévoile le fond de l’histoire sans trop en dire. C’est très bien écrit, on a très envie de lire, mais il faudra attendre pour ma part la version française.
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Magnifique analyse! Et que c’est bien écrit! Bravo Anne.
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Super article, dès les 1eres lignes j’ai été captivée, ca m’a donné envie de lire the hate you give et de voir le film! Et On the come up à l’air vraiment genial, ca me remotive a me remettre a la lecture, je me suis deja sentie plongé dedans grace aux petits extraits et passages d’interview, well done!
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