Asian readathon : le bilan ! (Partie 2)

Cet article fait suite à la première partie de mon bilan sur mes lectures à l’occasion du asian readathon de mai. Si vous ne l’avez pas encore lue, c’est par ici !

Challenge n°3

Les hijras de Mathieu Boisvert

Communauté sud-asiatique

EDIT : Après m’être renseignée davantage sur le sujet, j’ai réalisé que le terme employé par Mathieu Boisvert dans ce livre n’était absolument pas revendiqué par la communauté trans indienne, qui préfère utiliser le terme « Kinnar » ou « Kinner » pour se définir. J’ai donc décidé de supprimer ma critique de ce livre, d’une part car je n’avais pas les informations nécessaires pour émettre un avis éclairé, d’autre part car mes nombreux emplois de ce terme est insultant envers les personnes concernées.

Challenge n°4

Le mari de mon frère de Gengoroh Tagame

Mangaka et personnages japonais

Au Canada, j’ai épousé le frère de ton papa. Et donc je suis ton oncle ! – C’est vrai ?! Papa a un frère ?! Et puis deux monsieurs peuvent se marier ensemble ?!
– […] Au Japon ce n’est pas possible, mais dans d’autres pays, ça l’est…
– Trop bizarre ! Pourquoi c’est pas partout pareil ? Je comprend pas du tout !

A vrai dire le livre traduit d’une langue asiatique a été le plus difficile à trouver. Déjà, il fallait qu’il soit disponible en bibliothèque ou sur Audible, car je n’achète pas de livres papier (un sujet dont je parlerai probablement sur le blog un de ces jours), et ensuite parce qu’il fallait que je le lise le lire en une semaine maximum, étant limitée par le temps. Adieu donc, les livres de plus de 200 pages… Et avec ces deux contraintes, il me restait peu d’options. Je n’avais pas prévu de lire de mangas au cours de ce challenge, mais Le mari de mon frère était sur ma to-read list depuis quelques années déjà. J’avais d’ailleurs acheté le premier tome lors d’un salon du livre à Paris, et l’avait abandonné en France avant d’avoir eu l’occasion de le lire.

Au final, Le mari de mon frère valide tous les challenges : c’est un roman graphique (manga) asiatique, présentant un personnage gay et ayant été traduit du japonais. Cela me donnait aussi l’opportunité de traiter d’une autre identité LGBTQ.

Le manga raconte l’histoire de Yaichi, père japonais célibataire qui reçoit la visite du mari canadien de son frère décédé, avec qui il n’avait pas eu de contact depuis une dizaine d’années. Peu confronté à l’homosexualité de son frère auparavant, Yaichi est très mal à l’aise de devoir accueillir son beau-frère chez lui, et au final, grâce à la naïveté de sa fille, apprend petit à petit à comprendre et appréhender cette différence.

Derrière la simplicité de ce scénario se cache une formidable leçon de vie. Le héros du manga, Yaichi, n’est pas un homophobe au sens où on pourrait l’entendre. Il a accepté l’homosexualité de son frère, mais il n’est clairement pas à l’aise avec le sujet et nourrit beaucoup d’ignorance et d’incompréhension vis à vis de la communauté LGBTQ. Se rapprocher du conjoint de son frère après le décès de ce dernier pourrait être un moyen pour lui de mieux comprendre ce qui les a éloignés et déconstruire ses préjugés. Ainsi, beaucoup d’homophobie “quotidienne” est dénoncée dans le manga. La perception des hommes gays comme des agresseurs potentiels, le manque de reconnaissance des couples de même sexe, et l’impossibilité d’aborder ces couples sous un angle non-hétéronormé. En opposant les préjugés de Yaichi et l’innocence enfantine de Kana, le mangaka parvient très bien à montrer en quoi l’homophobie est un problème construit de toutes pièces dans un souci de normativité sociale. Par ailleurs les réactions de Yaichi face aux questions désinvoltes de sa fille sont hilarantes et j’ai vraiment beaucoup ri tout au long de ma lecture.

Je n’avais pas lu de mangas depuis longtemps, mais je poursuivrai cette série pour sûr.

Challenge n°5

A Thousand Beginnings and Endings d’Ellen Oh

Récits et auteur.ices sud et est asiatiques

The prince always said I belonged to him. I had thought this word protected me and kept me safe, but now I understood. Belonging meant he could place me wherever he liked.

EXTRAIT DE LA NOUVELLE D’AISHA sAEED

“Le prince disait toujours que ma place était à ses côtés. Je pensais que cette phrase me protégeait et me tenait à l’abri, mais maintenant je comprend. Avoir une place voulait dire qu’il pouvait me placer partout où il le souhaitait.”

A Thousand Beginnings and Endings était la seule “lecture imposée” du readathon. Une discussion entre les différents hôtes du challenge a été diffusée en live sur la chaîne de Cindy. Ce recueil de nouvelles est très à propos, puisqu’il regroupe des réécritures de légendes, mythes et récits épiques asiatiques (De la Chine à l’Inde, et passant par le Vietnam). Les nouvelles mettent en lumière des histoires en général méconnues en occident, en leur donnant un twist moderne.

La qualité des nouvelles est assez inégale. Certaines m’ont captivées, d’autres m’ont laissée plutôt indifférente, mais ce qui est sûr, c’est ce que chacune capture son propre univers avec un style bien particulier. Certaines ont un contexte contemporain avec quelques touches de magie, certaines se lisent comme des contes de fées, et d’autres encore se déroulent dans des univers de SF. Il y en a pour tous les goûts, donc.

Je ne suis pas une habituée des recueils et j’avoue que ce fût une lecture un peu déroutante. Moi qui pensait engloutir ce livre très rapidement, je me suis retrouvée à lutter pour le terminer, car j’avais du mal à entrer et sortir rapidement des histoires. Il me fallait toujours un petit temps d’adaptation pour comprendre le ton, le monde, les personnages… Si bien que malgré la simplicité d’écriture et l’atmosphère de conte, ce fût loin d’être une lecture facile. Cependant l’édition du livre n’est pas en tort, bien au contraire. C’est un ouvrage très bien pensé, avec un joli graphisme, et je ne regrette pas de l’avoir eu entre les mains plutôt qu’en version numérique. Toutes les nouvelles se terminent par un petit encart de l’autrice sur la légende dont elle s’est inspirée, pourquoi elle l’a choisie, et comment elle l’a détournée. Ces textes personnels ajoutent vraiment de la valeur et de l’intérêt au recueil et j’ai pris beaucoup de plaisir à les lire.

Comme il est difficile de donner un avis général sur un livre qui présente autant de diversité, je vais commenter rapidement sur les nouvelles qui ont retenu mon attention.

Code of Honor de Melissa de la Cruz

La nouvelle de Melissa de la Cruz se démarque des autres par son style très YA et c’est c’est exactement ce qui a retenu mon attention. S’inspirant des Aswangs, créatures folkloriques philippinos s’apparentant à nos vampires occidentaux, l’autrice met en scène une jeune aswang fraîchement arrivée dans son nouveau lycée et préoccupée à dissimuler son lourd secret. L’histoire était amusante et légère, et j’ai particulièrement aimé la manière dont elle recoupe des légendes asiatiques et occidentales. J’aurais aisément pu lire un roman entier basé sur ce simple concept.

The Land Of the Morning Calm d’E. C. Myers

Cette nouvelle s’inspire d’une épopée et de plusieurs créatures de légendes populaires coréennes comme le kumiho (renard à neuf queues). Elle raconte l’histoire d’Hannah, une jeune fille qui retrouve l’avatar de sa défunte mère dans son jeu en ligne préféré.

Cette réinvention est une des plus frappantes puisqu’elle part d’un récit très traditionnel pour le transposer dans le contexte le plus contemporain qui soit : Le mmorpg. Pour autant, l’authenticité de l’épopée n’est pas perdue, puisqu’elle sert de décor au jeu en lui-même. Le thème de la nouvelle est aussi très émouvant, puisqu’il s’agit d’un beau message sur le deuil et la transmission familiale. Pour ne rien gâcher, le style de cette nouvelle était très agréable.

The Smile d’Aisha Saeed

Yasmine est la courtisane favorite du Prince Kareem. Elle le sert du mieux qu’elle peut, soucieuse de le satisfaire et de conserver ses faveurs. Mais face à sa jalousie, elle remet petit à petit en cause le bien fondé de leur relation.

Si la nouvelle d’Aisha Saeed reprend la légende sud-asiatique d’Anarkali, elle fait beaucoup écho pour moi aux récits orientaux de type “mille et une nuits” très ancrés dans l’imaginaire collectif. Même sans connaître cette légende en particulier, on a donc bien en tête, dès les premiers mots, l’image de cette courtisane docile, issue d’un harem, qui grâce à sa beauté et ses talents de danseuse, parvient à séduire le Prince qui la possède. Mais l’autrice retourne habilement ce stéréotype en déconstruisant le fantasme de cette relation qui est en réalité celle d’une esclave et de son maître. Elle redonne du pouvoir à Yasmine, la courtisane docile et séduisante, et la libère ainsi de l’emprise du regard masculin. Un court récit magnifique et probablement mon préféré du recueil.

En conclusion…

Le asian readathon fût une sacrée aventure, en témoigne la longueur de cet article. Par chance, j’ai été plutôt emballée par tous les livres que j’ai choisi pour ce premier readathon, et même si je pense m’organiser différemment la prochaine fois pour moins me sentir débordée, j’ai quand même réussi à accomplir tous les défis de la liste, et dans le temps requis ! L’aspect le plus difficile de ce challenge était sans aucun doute d’avoir le tic-tac de l’horloge au-dessus de la tête, car j’aurais bien lu encore deux trois bouquins pour être totalement satisfaite. Je ne suis pas mécontente d’en avoir fini pour pouvoir reprendre des lectures à un rythme normal. En revanche, je n’ai pas du tout trouvé difficile de lire des livres d’un pays d’Asie différent à chaque fois, au contraire, cela s’est fait plutôt naturellement. Une preuve de la diversité des identités asiatiques sur le marché du livre ! Vous l’avez aussi probablement remarqué mais j’ai essayé de ne pas me restreindre à un seul genre, dans ma liste il y a : un roman adulte, un roman young adult, un livre de non-fiction, un comics, un manga et un recueil. Cela montre à quel point l’Asie est présente dans absolument tous les domaines, et j’espère que l’édition francophone s’y penchera un peu plus car il serait temps de rendre toute cette belle représentation à la portée de tous.

Pour finir, j’aimerais vous recommander quelques contenus non-livresques que j’ai consommé ce mois-ci et qui sont tout à fait appropriés pour le Asian Pacific American Heritage Month. Tout d’abord la série HBO The Night Of, qui est sortie il y a deux ans déjà, mais que j’ai commencé et terminé ce mois-ci. Elle suit Naz, un jeune pakistanais-américain qui en se réveillant, trouve la femme avec qui il vient de passer la nuit violemment assassinée et se retrouve très vite premier suspect du meurtre. La série est incroyablement bien écrite et réalisée et traite de beaucoup de sujets importants comme le monde carcéral, l’islamophobie et le racisme dans un monde post-9 septembre. Courez la voir si ce n’est déjà fait !

Ensuite, puisque je parle ici de livres et de littérature, je vous conseille d’écouter l’épisode du podcast Kiffe Ta Race présenté par Grace Ly et Rokhaya Diallo sur l’influence des idées post-coloniales sur la littérature francophone. C’est une discussion très éclairante et nécessaire sur la manière de percevoir notre langue et celle des autres.

Enfin, je souhaiterais chaudement recommander le court documentaire Débridé.e.s de Dara qui est disponible sur youtube, et dont le montage et les différents témoignages mettent en lumière le phénomène de la Yellow Fever en France. Il aide à comprendre les mécanismes de sexualisation et de fétichisme envers les personnes asiatiques perçues comme femmes et met en lumière la dangerosité d’une représentation unique des minorités, un sujet qui me tient particulièrement à cœur d’aborder sur le blog. Je vous encourage donc vivement à y jeter un œil.

Sur ces bons mots, je vous souhaite une bonne fin d’Asian Pacific American Heritage Month et surtout n’oubliez pas de diversifier votre “pile-à-lire” !

3 réflexions au sujet de “Asian readathon : le bilan ! (Partie 2)”

  1. Super article, tout comme la partie 1 🙂 Je note de côté la série dans ma watchlist.
    Et je suis curieuse de savoir pourquoi tu n’achètes plus de livres papier (moi-même ça fait un bail que je n’en ai pas acheté, ça prend tellement de place et pour déménager c’est pénible haha) – alors j’ai hâte de te lire un jour sur ce sujet !

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    1. Merci beaucoup pour ton retour ! Tu as cité l’une des raisons principales: j’ai déménagé à l’autre bout de l’Atlantique et j’ai dû laisser tous mes livres derrière moi, ça m’a appris une leçon ! Je compte en parler bientôt car c’est un sujet qui me tient à coeur et m’intéresse. À bientôt sur le blog j’espère 😉

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